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Le Père Athanase, le syndic des capucins

Acte III, scène 2

Lorsque de Guiche, "affolé" par Roxane, se propose de se réfugier dans le sévère couvent de la rue d'Orléans pour venir la retrouver le soir même avant son départ pour Arras, sait-il qu'il va chez l'un des grands esprits du siècle, qui sur certains point, est proche de Cyrano ?


Le Père Athanase Kircher, S.J., n'est pas le religieux austère et hypocrite que sous-entend Rostand par les quelques vers qui le concernent


" Ecoutez. Il y a, près d'ici, dans la rue
D'Orléans, un couvent fondé par le syndic
Des capucins, le père Athanase. Un laïc
N'y peut entrer. Mais les bons Pères, je m'en charge !...
Ils peuvent me cacher dans leur manche, elle est large.
- Ce sont les capucins qui servent Richelieu
Chez lui ; redoutant l'oncle, ils craignent le neveu. - "


Certes, il est jésuite. Et donc, si nous nous en tenons aux préjugés et à la caricature, adepte du double langage et des arguments philosophico-théologiques parfois un peu tirés par les cheveux. Son "génie" a été dit "polymorphe" par ceux qui ont tenté de le définir et il définit bien ce XVIIe riche en découvertes et renouveaux scientifiques, issu de la Renaissance mais où se mêle ce que les critiques littéraires du XIXe appelleront le Baroque. Aucun domaine ne le laisse indifférent : expert en langues orientales et hiéroglyphes, le Père Athanase Kircher était aussi un grand mathématicien dont l'intérêt pour la médecine orientale et l'astronomie se mêlait à la curiosité pour l'alchimie, le magnétisme et la zoologie.

Cet esprit éclectique aux connaissances encyclopédiques acquises en ordre chaotique ne se contentait pas de réfléchir et d'étudier, il créait également. Et ses inventions et ses machines sont parfois surprenantes ! Qui sait en effet ce qu'auraient pu faire les frères Lumière sans la lanterne magique dont il fut l'inventeur ? Et nous-même, nous serions bien embêtés aujourd'hui si personne d'autre n'avait mis au point l'orgue mathématique qui n'est rien que moins que le précurseur de l'ordinateur ! Mais, soyons honnêtes, s'il eut certains traits de génie, il rêva aussi certaines fantasmagories insoutenables. Sa casuistique illuminée pose par exemple que la licorne existe, puisque les Saintes Écritures en font état, et que les cornes de licorne des trésors royaux appartiennent au narval, et conclut avec une imperturbable logique que la licorne est un gros poisson des mers arctique. (Athanase Kircher, Mundus Subterraneus, Amsterdam, 1667, t.II, p.67). Cette corne du narval n'était d'ailleurs pour lui ni une dent ni une corne, mais un nez !

De même, il exagère quelque peu lorsqu'il écrit, en 1665, qu' « Il n'y a rien au monde à quoi les rois, les princes et les grands de ce monde attachent plus de prix qu'à la corne de monocéros, au point qu'or et gemmes n'ont en comparaison aucune valeur » (Athanase Kircher, Mundus Subterraneus, Amsterdam, 1667, t.II, p.66). Au milieu du XVIIe siècle, la corne de licorne avait déjà bien perdu de son prestige et de son prix, et il était un peu tard pour se poser en démystificateur. Un siècle plus tôt l'affirmation du Père Kircher n'eût pourtant rien eu d'excessif. Peut-être est-ce pour cette raison que le critique et écrivain italien, grand connaisseur du XVIIe siècle, qu'est Umberto Eco (dont un de ses articles sur Savinien est reproduit sur le site) le décrit comme "le plus contemporain de nos ancêtres et le plus inactuel de nos contemporains".

Il est né en 1602. Il est donc au moment de l'acte III encore jeune, mais déjà mûr, puisqu'il n'a que 38 ans. De Guiche dit que les capucins "redout[ent] l'oncle". Peut-on croire cela de la part du père Athanase qui entretenait une correspondance suivie avec les plus grandes personnalités ? Dans le catalogue de ses écrits, on retrouve pas moins de 2 587 documents en 20 langues, avec des lettres venues de 42 pays et de 336 villes ! Ses interlocuteurs ont des noms et des titres prestigieux devant lesquels Richelieu lui-même aurait pu trembler s'il était homme à trembler : 2 papes (Alexandre VII et Clément IX), 2 empereurs (Ferdinand III et Léopold d'Autriche), des reines et des rois (Christine de Suède, Philippe IV d'Espagne, Charles II d'Angleterre) et plusieurs cardinaux de la plus haute extraction. La majorité de sa correspondance est toutefois consacrée aux frères jésuites en terre de missions qui lui fournirent détails et objets curieux et exotiques qui constituent le fond du "Musée du Collège Romain" à Rome où il était interne, musée qu'il fonda et entretint à partir de 1615 (à 13 ans, oui !) avec l'autorisation du Recteur : ce musée existe toujours et il est rebaptisé "Musée du Monde". Mais la collection fut éparpillée en 1773 à la suite de la destitution du corps des Jésuites. Cette collection devant laquelle s'extasiait la reine Christine de Suède n'a jamais pu être entièrement récupérée malgré la restauration de l'Ordre en 1814...

Le Père Kircher meurt en 1680, à l'âge de 78 ans.



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  Auteur

Ludovic Diamant-Berger

Ludovic Diamant-Berger



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»  Le musée du monde d'Athanase Kircher

»  Les licornes


Publié le 06 / 05 / 2005.


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