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Ces vers de Chapelain...
Acte II scène 5
Lise confectionne des sacs à gâteaux avec les vers de Chapelain, ce qui n'émeut pas Cyrano qui y enfourne du poupelin... Madame Ragueneau n'avait pas lu Sainte-Beuve qui écrivait de lui : C'était l'un des plus beaux naturels du monde pour la poésie, et de qui les bons sentiments de l'âme égalaient la gaieté de l'humeur.
Jean Chapelain est reconnu par ses contemporains comme un juge du bon usage dans les lettres ? on lui doit la fameuse règle des trois unités ? et un censeur sévère mais juste car, en écrivant Les Sentiments de l'Académie sur le Cid, il donna raison à Corneille. Pour sa gloire, cet académicien, grand esprit, érudit et polyglotte aurait peut-être du s'abstenir d'écrire lui même : il s'est piqué de vers qui ne méritent pour la plupart que de servir de sacs à gâteaux tant ils sont d'une platitude affligeante, et d'une complaisance outrancière.
Sonnet de l'éloge sur le roi. Extraits.
[?]
< Quel astre flamboyant sur nos provinces erre ?
N'est-ce point Mars [?]
N'est-ce point Jupiter [?]
N'est-ce point le Soleil [?]
Non, l'astre dont l'éclat tient nos yeux éblouis
Est un astre plus grand qui tous les trois embrasse,
C'est le fort, c'est le bon, c'est le sage Louis.
Quelques parodies le moquèrent rapidement d'ailleurs, par exemple :
Quel est ce bel esprit à la perruque antique
Dont l'art ostentateur à nos yeux éblouis,
Dont le remerciement petit, mais extatique
Donne un mauvais sonnet pour trois cent bons louis ?
Est-ce un Tasse nouveau [?]
Un Virgile françois [?]
Non, c'est un faux Caton qui s'habille en poète,
Riche au siècle où Malherbe est mort dans la disette,
C'est le froid, c'est le dur, c'est le sec Chapelain.
Sa première ?uvre toutefois, La Pucelle, poème épique sur la vie de Jeanne d'Arc, contient quelques vers de bonne facture, mais l'ensemble empêcha tout succès, et l'empêche encore ! Seulement la moitié des 24 chants a été publiée. En voici un extrait :
[?] Tout cède, tout fait joug à la terrible Armée ;
Devant ses étendards vole la Renommée ;
Charles jette en son cours l'effroi de toutes parts ;
Les villes n'ont pour lui, ni portes, ni remparts.
De tous côtés en foule on lui vient rendre hommage ;
Cet empêchement seul alentit son voyage ;
Chacun le reconnaît, chacun lui tend les bras,
Chacun s'offre à le suivre au milieu des combats.
Philippes entre tous Philippes même enuoye
Du succès d'Orléans lui témoigner sa joye,
A ses Royales mains des palmes souhaiter,
Et d'un futur accord les fondements jeter.
Mais les Monstres d'Enfer, dont la bande obstinée
Pour traverser le Sacre est au Camp retournée,
Dans un noir tourbillon l'accompagnant toujours,
Consultent les moyens d'en affaiblir le cours.
Après mille projets, leur profonde malice
Enfin se détermine au damnable artifice,
D'inspirer au soldat le penser libertin
De faire sur sa roue un infâme butin.
Des Cavernes d'horreur qu'enferme le bas Monde
La plus grande et plus noire est une Grotte immonde,
Qui couvant une molle et piquante chaleur,
Sous ombre de plaisir, n'enfante que douleur.
Cette Grotte formée et de boue et de braise,
Du charnel Asmodée est la sale fournaise,
Où dans un feu cuisant il forge des appas,
Qui par de beaux sentiers mènent l'homme au trépas.
C'est lui qui seul au Camp cette fureur inspire ;
Ce n'est plus qu'à ce but que le Français aspire,
Et rares sont les c?urs qui d'un si doux poison
Puissent par leur vertu préserver leur raison.
Pour des Filles sans honte, il fait naître en leurs âmes
D'impudiques désirs et de lascives flammes ;
Par ce venin charmant, le soldat empesté
Court avec moins de force et de légèreté.
Du désordre des siens, la Pucelle indignée
Passe de rang en rang du Prince accompagnée,
Ecarte d'un clin d'?il ces criminels objets,
Et de l'Esprit impur étouffe les projets.
Livre Sixième, vers 793-832 (orthographe modernisée).
Le monotone déroulement des alexandrins et l'usage constant des inversions entretiennent une raideur mécanique dans cette marche de l'Armée de Charles VII vers Reims où celui-ci doit se faire sacrer. Les forces du Mal veulent ruiner cette entreprise en excitant les passions mauvaises chez les soldats. Mais derrière cette affabulation chrétienne se retrouvent en fait des souvenirs scolaires de Virgile.
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Ludovic Diamant-Berger
» Jean Chapelain (1595-1674)
Publié le 04 / 04 / 2005.
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