Le cardinal est un grand amateur de théâtre. Sa présence à l'hôtel de Bourgogne pour assister à la Clorise en témoigne. Est-il, un de ces méchants écriveurs aux lignes inégales comme Lise, la femme de Ragueneau, qualifie les poètes ?
Est-il trop pris par sa charge de Premier Ministre ? Doutait-il de son talent d'auteur ? Il écrivit plusieurs pièces, dont une
Europe et une
Roxane mais, comme
Un poète est un luxe, aujourd'hui qu'on se donne, et qu'il avait les moyens, il s'entoura d'au moins cinq auteurs, dont Corneille. Il avait quand même la pudeur de ne pas signer ces ?uvres collectives.
Deux occasions, au moins, nous sont données d'entrer, par la porte de la fiction, dans l'intimité littéraire du cardinal. La première, dans
Les Trois mousquetaires d'Alexandre Dumas :
« D'Artagnan suivit un corridor, traversa un grand salon, entra dans une bibliothèque, et se trouva en face d'un homme assis devant un bureau et qui écrivait. D'Artagnan crut d'abord qu'il avait affaire à quelque juge examinant son dossier, mais il s'aperçut que l'homme de bureau écrivait ou plutôt corrigeait des lignes d'inégales longueurs, en scandant des mots sur ses doigts ; il vit qu'il était en face d'un poète. Au bout d'un instant, le poète ferma son manuscrit sur la couverture duquel était écrit :
Mirame, tragédie en cinq actes, et leva la tête. D'Artagnan reconnut le cardinal ».
La seconde nous est offerte par Paul Féval fils et M. Lassez dans leur
D'Artagnan contre Cyrano. Cyrano est dans le bureau de Richelieu, et ne s'attend pas à devenir le "nègre" du plus important personnage du royaume :
« A ce moment, son oeil perçut le titre du livre que feuilletait le Cardinal. Ce livre, c'était
Agrippine, sa dernière tragédie, nouvellement parue chez Barbin. Le Cardinal prit sur son bureau le parchemin couvert de son écriture :
- Prenez ceci. Vous avez-là une fin de scène et le libretto de la scène suivante. Moment capital. c'est là le noeud de l'intrigue. Emportez donc cela. Vous aurez tout loisir d'y travailler. M. de Mazarin vous a aménagé un nid dont vous serez content, j'espère. J'aurais été navré de vous voir assez déraisonnable pour repousser mes offres. Je n'aime point à user de rigueur avec un poète, un confrère, Monsieur de Bergerac. Donc, ne l'oubliez pas : à dater de cette heure, vous êtes à moi. Un carrosse vous attend en bas pour vous menez à Rueil ».
Bigre ! Encore heureux que le cardinal, s'estimant
des plus experts ne lui ait pas proposé de corriger
seulement quelques vers de son
Agrippine ! Alors voilà notre Cyrano à nous, je veux dire celui de Rostand, prendre la plume au nom du cardinal ? Nous l'avons connu moins docile. A la proposition :
Voulez-vous être à moi, Cyrano répond à de Guiche :
Non, Monsieur, à personne.