Texte paru dans le programme d'une représentation exceptionnelle de Cyrano le jeudi 23 novembre 1967 à la Comédie-Française.
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Portait d'Edmond Rostand (Pascaud 1901)
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On a fait trop facilement de Rostand un romantique attardé qui clôt la période de 1830 avec la clef d'or d'une comédie héroïque. Cela n'est exact que partiellement. Il ne suffit pas d'écrire une langue théâtrale pleine d'éclat et de verve, proche de celle du premier acte de
Marion Delorme et du quatrième acte de
Ruy Blas, pour naviguer obligatoirement dans les eaux hugoliennes : l'âme est plus important que le vêtement, aussi somptueux soit-il.
Rostand n'est pas foncièrement romantique, parce que sa sensibilité est discrète et comme pudique, et surtout parce que le gigantesque, le morbide et le ténébreux ne résonnent pas sur sa lyre.
Je préfère le rattacher à Corneille. Esprit inépuisable et subtil ; fantaisie ingénieuse, virtuosité verbale, goût de la préciosité et du burlesque, tendance à la déclamation, imagination extraordinaire qui n'étouffe pas la flamme de la raison, sensibilité en demi-teinte qui s'oppose à la sensibilité débordante du romantisme, idéalisme, penchant pour la sublimité et l'héroïsme, tout cela qui fleurit au début du 17è siècle et qui trouve sa plus haute expression dans Corneille, tout cela vit et vivra dans l'âme de Rostand et attend le moment, le sujet, le héros opportuns,pour s'épanouir et rayonner.
Et c'est pourquoi, de toute éternité, autant par ses défauts que par ses qualités, Edmond Rostand était destiné à rencontrer sur les routes immatérielles de l'esprit, le fantôme de Cyrano et le ressusciter.
© Charles Pujos