Cyrano, le mousquetaire de la Commune
Dans Le Monde diplomatique de juin 2002, Evelyne Pieiller consacre un article à la Pérennité du roman populaire à travers Les Misérables, Les Trois Mousquetaires et Cyrano de Bergerac. Elle y montre notamment combien Cyrano est ancré dans son siècle, c'est-à-dire cette fin de XIXè siècle où il a connut la gloire.
Ah, Cyrano, c'est le Mousquetaire après la Commune... Il triomphe en 1897, un demi-siècle a passé depuis d'Artagnan, la République est fragile, les attentats anarchistes effraient, le président Sadi Carnot vient d'être assassiné, les scandales déshonorent les « élites », l'affaire Dreyfus est une tempête, le mythe de la grève générale révolutionnaire prend consistance... Cyrano, c'est la version fin de siècle des Trois Mousquetaires. La version sans politique, sans espérance, sans autre ennemi que soi. Le mousquetaire est seul. Et condamné à la solitude. Il est condamné à l'opposition, il n'y a pas de place pour lui ici-bas, il est définitivement « déplacé ». L'homme laid n'est pas l'égal du beau garçon. L'homme intelligent n'est que très temporairement libre de défier la bêtise ; quant à la fraternité, elle est remplacée par le sacrifice de soi. L'existence n'a rien de folâtre, et pourtant c'est ce perdant-là qui taquine obstinément l'échec et la mort, qui suscite l'affection. Ses seules armes : son courage, son panache, son verbe.
Cyrano, c'est la figure fantasmatique d'un peuple qui se sait vaincu, et qui affirme pourtant que sa crânerie, ses défis, son appropriation luxueuse de la langue le rendent, malgré tout, vainqueur : vainqueur de la sottise des apparences, de la mesquinerie du compromis, vainqueur des valeurs de l'économie bourgeoise - « c'est bien plus beau lorsque c'est inutile ». Définitivement, le populaire n'est pas le populacier, ce qui ne va pas sans dire en nos temps confus. Et l'oeuvre populaire, qui permet à un public de se ressentir comme un peuple, à un individu d'accueillir des rêves dont il sait qu'ils ne sont pas seulement siens, l'oeuvre populaire, c'est l'imagination qui dit la vérité de l'Histoire, la vraie vérité, celle qu'il faut espérer. Encore faut-il, bien sûr, espérer...
EVELYNE PIEILLER
Journaliste, écrivain, auteure notamment de l'Almanach des contrariés, Gallimard/L'Arpenteur, Paris, 2002.
Nota : Nous cherchons à établir un contact avec Madame Pieiller.
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FRANCE
Publié le 17 / 07 / 2005.
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