C'est en écoutant Michel Onfray parlant de Cyrano, et Raphaël Enthoven dans l'émission "Les Nouveaux chemins de la connaissance", qu'Axel Evigiran s'interroge sur la censure qui a frappé l'oeuvre du libertin Cyrano de Bergerac.
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« Frappons, voilà l’Hostie » est une fameuse réplique qui contribua, entre autres choses, au scandale suscité par la tragédie de Cyrano de Bergerac, intitulée La Mort d’Agrippine (1).
La pièce, on s’en doute, fera long feu, et ces « belles impiétés » furent retirées de l’affiche après seulement quelques représentations.
L’auteur du Voyage dans la lune , habile bretteur devant l’Eternel, pour ce délicieux blasphème joue sur l’étymologie ; le latin "hostia", la victime sacrifiée, a un radical semblable à "hostire", signifiant "frapper". Ainsi l’"hostis" représente cet ennemi qu’il nous faut occire (2)… Frappons donc !
Quant à la trame de l’histoire, on peut ainsi la résumer : Agrippine, veuve de Germanicus (lui-même fils adoptif de l'Empereur Tibère) cherche à venger la mort de l'homme qu’elle a aimé.
Mais au plus haut niveau de l’Empire Romain, ce n’est qu’un nid de guêpse, chacun trahissant chacun… Dans l’entourage de la Dame, gravitent bien des ambitieux, tel Séjan, favori de Tibère, drôle d’Epicurien n’aspirant qu’à prendre la place de l'empereur sur le trône, avec, bien évidemment la belle Agrippine à son bras.
De ces intrigues et autres sordides complots, ne sortiront que sang et larmes…
Séjan, ou Séjanus, puisque c’est le seul protagoniste de ce drame dont le nom n’a pas été francisé, est un bien drôle de soldat d’Epicure ; cet homme aux noirs desseins, pétri des vers de Lucrèce, se trouve malgré tout en quête d’honneurs, de renommée et de gloire. Il n’empêche, la pièce, machiavélique par bien des aspects, est un virulent plaidoyer athée mâtiné d’épicurisme d’où suinte un libertinage de pensée des plus radicaux.
Il n’en fallait pas davantage pour se prendre d’envie à savourer cette œuvre trop méconnue de l’auteur du Voyage dans la lune (aussi intitulé L’Autre Monde ou les Etats et Empires de la Lune).
Aussi, en guise de préliminaires, ne résistons point à ouïr Séjanus se faire, en ces quelques vers sublimes, le porte-parole d’Épicure:
« J'ai beau plonger mon âme et mes regards funèbres
Dans ce vaste néant et ces longues ténèbres,
J'y rencontre partout un état sans douleur,
Qui n'élève à mon front ni trouble ni terreur ;
Car puisque l'on ne reste après ce grand passage
Que le songe léger d'une légère image,
Et que le coup fatal ne fait ni mal ni bien,
Vivant parce qu'on est, mort parce qu'on est rien ;
Pourquoi perdre à regret la lumière reçue,
Qu'on ne peut regretter après qu'elle est perdue ?… »
(1). La pièce fut jouée en 1653 sur la scène du Théâtre de Bourgogne. Probablement écrite aux alentours de 1647.
(2). "per hostias diis supplicare", Salluste. 63, 1 ("faire un sacrifice aux dieux").