Roxane est la cousine de Cyrano, c'est d'ailleurs ce que Lignière précise tout de suite à Christian ; et elle confirme cette parenté au siège d'Arras : Monsieur de Bergerac, je suis votre cousine. Ils ont passé leur enfance ensemble, du moins, tous les étés à Bergerac. Cyrano était son presque frère, ils jouaient dans le parc, près du lac, et les maïs fournissaient les cheveux blonds pour vos poupées... Roxane, en jupons courts, s'appelait Madeleine...
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Magdeleine Robineau, veuve de Christophe de Neuvillette tué au siège d'Arras.
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La personnalité de notre Roxane évolue tout au long des cinq actes, du profane au sacré. Tout d'abord Précieuse fréquentant le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne et les salons où l'on discourt sur
Le Tendre, aguicheuse se fiant au paraître des garçons et gamine un peu écervelée chez Ragueneau, elle découvre l'amour aux mots de Cyrano-Christian sous son balcon, à condition toutefois que l'amoureux soit joli garçon.
Les lettres écrites depuis Arras la transforment : la Précieuse devient une héroïne et son amour, absolu. Dégagée du paraître, elle aime, vraiment et profondément, elle aimerait même un homme laid. Et la mort de son mari conduit cette épouse encore vierge au couvent...
Le problème, c'est que cette Roxane-là n'existe pas ; c'est le seul personnage de la pièce dont on ne retrouve pas une trace réelle. Plutôt, on en trouve deux, et de ces deux femmes, Rostand va n'en faire qu'une, Roxane de Neuvillette.
La première, Marie Robineau (Rostand raccourci son nom en Robin) est en effet une Précieuse que l'on retrouve dans le dictionnaire de Somaize sous le nom de Roxane :
Comme l'on peut en juger par les quarante-cinq ans dont elle date son âge, n'est pas des moins anciennes précieuses d'Athènes (Paris). Aussi a-t-elle toute la connaissance que peut apporter une longue expérience, et pourrait enseigner publiquement tout ce qui concerne les précieuses ; elle a beaucoup d'esprit. Elle est amie avec la docte Sapho, Madeleine de Scudéry qui la peint sous les traits de Doralise dans
Grand Cyrus : On peut dire que ce n'est pas une personne ordinaire, car outre qu'elle a une beauté charmante, elle a un esprit admirablement divertissant...
La seconde s'appelle Madeleine Robineau, sans qu'il y ait de lien de parenté connu avec la première. Elle est bien la cousine de Savinien, jouit d'une confortable fortune , aime la bonne chère, dispose d'un carrosse fort luxueux, et épouse Christian de Neuvillette, résultat d'un amour certainement sincère puisqu'à la mort de son mari au siège d'Arras, elle devient une femme de grande piété, à tel point que le Père Cyprien de la Nativité de la Vierge pourra lui consacrer un ouvrage :
Le recueil des vertus et des écrits de Mme la baronne de Neuvillette décédée depuis peu dans la ville de Paris paru en 1660. Il la décrit ainsi :
Elle avait un esprit brillant, les traits du visage assez bien proportionnés, la taille avantageuse, mais son goût pour la bonne chère, et l'âge venant, font qu'à la fin de sa vie,
elle était tellement changée qu'elle sembla n'avoir pas été trop partagée de beauté en sa jeunesse mais elle avait conservé quelque chose
qui la tirait hors du commun parmi celles de son sexe.
Elle n'entre pas au couvent, mais se dote d'une mission : convertir son cousin Savinien de Cyrano et le faire revenir dans le giron de l'Eglise. Le Bret, qui vient d'être ordonné prêtre, se réjouira de voir
madame de Neuvillette, cette femme toute pieuse, toute charitable, toute à son prochain, parce qu'elle est toute à Dieu contribuer à ce que son ami ne voit plus qu'un
monstre dans le
libertinage.
Et c'est ainsi qu'il fallut que deux femmes existassent réellement pour que notre Roxane voit le jour...